Lieux d’enfermement d’enfants
Un inventaire visuel
Jusqu’au XIXème siècle, les enfants sont jetés en prisons, mélangés aux adultes. Pour mettre fin à cette promiscuité, la loi du 05 août 1850 prévoit un traitement différencié des enfants « détenus à raison de crimes, délits, contraventions ». En fait, des pauvres. Pour la plupart, ce sont des enfants issus de familles misérables, poussés par leur condition sociale à la mendicité, au vagabondage, au vol de subsistance ou à la prostitution. Par cette loi, ils peuvent être déclarés « comme ayant agit sans discernement » du fait de leur jeune âge ou de leur immaturité. Dans ce cas, ils sont « acquittés en vertu de l’article 66 du code pénal », mais ils subissent quand même une peine de « rééducation » pouvant durer jusqu’à leur majorité, 21 ans. Sachant qu’ils peuvent être arrêtés dès 5 ans, certains y passent toute leur enfance. Les jeunes garçons sont enfermés dans les Colonies Pénitentiaires, les jeunes filles dans des Institutions Religieuses ou des Écoles de Préservation. Il se retrouvent éloignés de leur famille, subissent des conditions déplorables où le travail, la religion, et « une discipline sévère » sont leur lot quotidien. L’idée politique et judiciaire sous-jacente est d’obtenir d’eux leur amendement par la « correction » et la « rééducation » et d’en faire des paysans, des ouvriers, des soldats, ou des filles de maisons, des ménagères, des ouvrières afin qu’ils répondent aux normes et à la demande de main-d’œuvre de la société bourgeoise. Il s’agit également « d’assainir » les villes, de protéger la société des misérables, tout en les rendant utiles, en éloignant les enfants pauvres des villes, les colonies pénitentiaires se situant à la campagne dans des régions toujours éloignées de chez eux, les institutions religieuses, bien qu’en ville sont des cloîtres impénétrables, les jeunes filles se retrouvent donc également isolées, reléguées à la marge de la société.
Ce phénomène d’enfermement d’enfants a pris une ampleur considérable, le nombre de lieux dépasse les 200 d’après mes recherches, il s’est déployé sur l’ensemble du territoire français y compris en Outre-Mer (Île Maurice, Algérie). Il a perduré au vingtième siècle. Les lois évoluant, les lieux ont changés de noms, mais le traitement des enfants y a peu évolué et le phénomène de mise aux bans de la société reste actuel avec les Centres Éducatifs Fermés instaurés en 2002, dont les Maison de Correction sont les ancêtres.
Ce travail d’inventaire visuel des « bagnes pour enfants » comme on les appela à partir de 1930 est en cours. J’ai retrouvé et photographié une centaine de lieux. Mon projet consiste à effectuer des prises de vues des bâtiments dans leur état actuel, en y cherchant des ambiances lumineuses, des traces, des éléments architecturaux ou des espaces naturels qui peuvent rappeler leurs usages passés, dans une démarche documentaire et subjective. En plus de ce travail sur site, je collecte des documents d’Archives.